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EROS MEDECIN
 

 

 

 

 

 

 
    Une perpétuelle inquiétude
   
    Comme l'amoureux des " Solitudes " baroques, le mélancolique de du Laurens s'éloigne d'un monde où il ne trouve plus le repos. " Tu le verras, dit-il, pleurant, sanglotant et soupirant coup sur coup, et en une perpétuelle inquiétude, fuyant toutes les compagnies, aimant la solitude pour entretenir ses pensées. I1 est, comme dit Plaute, là où il n'est pas. Ores il est plein de flammes, et en un instant, il se trouve plus froid que glace. " Description poétique et description médicale se confondent avec évidence une fois de plus, la seconde apportant à la première une caution scientifique et la première apportant à la seconde son jeu d'antithèses héritées de l'antiquité et de Pétrarque. Si l'amour est une maladie, c'est une belle maladie, susceptible de beau langage.
   
    Reprenant le dessus sur le poète, le médecin décrit maintenant les effets physiques de l'amour sur celui qui en est possédé. " Son cur va toujours tremblotant. I1 n'y a plus de mesure à son pouls : il est petit, inégal, fréquent et se change soudain, non seulement à la vue, mais au seul nom de l'objet qui le passionne. " Aussi ne peut-il cacher sa passion à ceux qui savent en reconnaître les signes. Erisistrate, célèbre médecin de l'antiquité, voyant Antiochus, fils de Séleucus, " rougir, pâlir, redoubler ses soupirs et changer si souvent de pouls à la seule vue de Sratonique [la femme de son père], jugea qu'il avait cette passion érotique ". I1 en avertit Séleucus. " Galien, avec la même ruse, découvrit la maladie de Justa, la femme de Boëce, consul de Rome, qui brûlait de l'amour de Pylade. "
   
    Euryale, gouverneur d'Arbate dans La Princesse d'Elide, n'a pas besoin de prendre le pouls d'Euryale pour découvrir la passion du jeune prince :
    Ce silence rêveur, dont la sombre habitude
    Vous fait à tous moments chercher la solitude,
    Ces longs soupirs que laissent échapper votre cur,
    Et ces fixes regards si chargés de langueur
    Disent beaucoup sans doute à des gens de mon âge.
   
    Comme Théramène, dans Phèdre, qui a reconnu les mêmes symptômes chez Hippolyte quand il lui pose tout crûment la même question : " Aimeriez-vous, seigneur ? " Poètes, romanciers et médecins s'accordent à reconnaître que l'amour est une passion dont les manifestations extérieures sont particulièrement difficiles à dissimuler.