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EROS MEDECIN
 

 

 

 

 

 

 
    De nombreux remèdes sans effet
   
    Reste donc la médecine, puisque la passion mélancolique est une maladie, et une maladie grave, qui détruit l'homme de l'intérieur. Elle en " déprave l'imagination ". En " travaillant et l'âme et le corps ", elle " rend les humeurs si sèches que la température universelle et principalement celle du cerveau en est corrompue ". La chaleur de la passion, qui assèche les humeurs, perturbe l'équilibre physique, indispensable à la bonne santé. I1 faut donc purger le malade et surtout l'humecter, comme tous les mélancoliques, " par bains universels et par applications particulières, par un régime fort humectant ". On le nourrira " de bons bouillons, de lait d'amande, d'orges mondés, de bouillie et de lait de chèvre ".
   
    Ce sera en dernier recours, car du Laurens propose de commencer par un traitement purement psychologique. S'il rencontre un mélancolique passionné, le médecin, dit-il, " doit premièrement tâcher de le distraire avec belles paroles de ces folles imaginations, lui remontrant le danger auquel il se précipite, lui proposer des exemples de ceux qui se sont ruinés, et qui en perdant la vie ont aussi perdu l'âme ". Si ce moyen échoue, on usera d'une " autre ruse " : il faut " par l'entremise de plusieurs personnes faire haïr [au malade] ce qui le va tourmentant, en dire du mal, appeler sa maîtresse légère, inconstante, folle, qui n'aime que le changement, qui ne fait que rire et se moquer de sa passion, qui ne reconnaît point ses mérites, qui aime mieux un valet pour assouvir son appétit brutal que de conserver un honnête amour ". Et dans le temps que l'on blâmera ainsi l'objet aimé, on tentera de valoriser le mélancolique à ses propres yeux en publiant ses bonnes qualités et " l'excellence de son entendement ". A défaut d'avoir saisi qu'il aurait mieux valu, plutôt que de lui parler, entrer dans la manie du passionné et l'écouter, le médecin avait du moins compris l'importance d'une thérapeutique de la parole.
   
    Conscient de son peu de pouvoir sur " des mélancoliques opiniâtres ", du Laurens conseille d'" inventer d'autres moyens ", comme " la fuite, c'est-à-dire le changement d'air ". I1 faut " dépayser " le malade, " car la vue de sa maîtresse lui rallume toujours son désir ". On doit donc le " loger aux champs, ou en quelque maison plaisante, le promener souvent, l'occuper à toute heure en quelque jeu plaisant, lui proposer cent et cent différents objets afin qu'il n'ait loisir de penser à ses amours, le mener à la chasse, à l'escrime, l'entretenir parfois de belles histoires et graves, parfois de fables plaisantes, avoir de la musique joyeuse ". Bref, on le divertira pour le sortir de sa dépression.
   
    On prendra soin aussi de son régime alimentaire. On évitera de le nourrir trop grassement. On lui échaufferait le sang, ce qui aurait pour effet de réveiller la chair et de renouveler sa flamme. " Otez l'oisiveté, ôtez Bacchus et Cérès; sans doute Vénus se refroidira. " L'amour-passion est lié à un mode de vie malsain. " Les doctes chantent partout que Vénus n'a jamais pu attraper, avec toutes ses ruses ", les déesses Pallas, Diane et Vesta. C'est que la mélancolie amoureuse ne trouve point de terrain favorable à la guerre, à la chasse, dans " le jeûne et austérité de vie ".