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LEGENDE ET CENSURE
 

 

 

 

 

 

 
    La mort de Ninon avait beau " faire une nouvelle ", le Mercure de France, qui servait à la fois de Bottin mondain et de Who's who oublia de consacrer à l'ancienne courtisane une notice nécrologique. Il ne fera son éloge qu'en 1750, près d'un demi-siècle après sa mort. " Nous avons été, vous et moi, commence le gazetier, élevé dans l'admiration de Mlle de Lenclos, et vous vous souvenez sans doute combien nous avons regretté de n'avoir pas été témoin des choses charmantes que nous avons entendu raconter. " Au commencement était la légende. On a brodé autour de Ninon. Pas autour de ses commencements tumultueux, de sa conduite et de ses aventures, mais des " choses charmantes " qu'elle a dites. " La mode de parler d'elle augmente tous les jours. On répète quelques-uns de ses bons mots. On la cite dans tous les ouvrages d'agrément. " Plus que Ninon, c'est une part de Mlle de Lenclos qui survit, la femme d'esprit qui attirait chez elle par le charme de sa conversation.
   
    Car on ne saurait raconter sa vie sans opérer une censure préalable. " Il faudrait nécessairement, dit Le Mercure, jeter un voile sur les premières années de Ninon et la prendre au moment où, pour se servir de sa propre expression, elle s'était fait homme, et pour lors, c'est Mlle de Lenclos. " On ne peut dévoiler ce personnage comme on dévoilerait celui d'une autre femme. " Quand on voudra parler de Ninon, on ne trouvera pas son compte par les voies ordinaires, et comme il faut être philosophe pour sentir tout son mérite, il faudrait aussi, pour en retracer quelques traits, bannir toutes les idées qu'on exige et qu'on attribue à son sexe. Il ne faut envisager qu'un honnête homme en elle. "