Bandeau


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
LA PRIERE DE NINON
 

 

 

 

 

 

 
    Ninon, selon Voltaire, n'a dit qu'une prière : "Mon Dieu, faites de moi un honnête homme et n'en faites jamais une honnête femme." Elle y parvint selon ses panégyristes. " Ci-gît, écrit Régnier-Desmarais, la femme qui voulut être un honnête homme, et le fut. " Plus vertement, le chansonnier Maurepas célèbre une Ninon qui, en dépit d'un monosyllabe qui rime avec son nom, se mit " au rang des hommes illustres ". Dans un texte paru en 1735, l'abbé de Châteauneuf explique, par quel mécanisme : " elle a compris de bonne heure qu'il ne peut y avoir qu'une même morale pour les hommes et pour les femmes ". Suivant cette " maxime ", dont elle avait fait " la règle de sa conduite ", elle se refusa toujours à excuser sur la coutume les défauts habituels du sexe féminin comme " la fausseté, l'indiscrétion, la malignité, l'envie ".
   
    Mais elle ne put jamais, inversement, " respecter l'autorité de l'opinion " qui, fort injustement, attache " la honte des femmes jusqu'à en faire leur plus grand, ou plutôt leur unique crime ", à " la même passion " dont les hommes tirent vanité. La célèbre courtisane n'a sûrement pas agi selon des principes aussi nets et définis d'avance. Mais l'idée qu'on avait de sa vie et le système de pensée qu'on lui a prêté après sa mort offraient aux philosophes du siècle des lumières une occasion privilégiée de mettre en question le rapport, jusque-là peu contesté, des vertus féminines de chasteté et de pudeur avec l'honnêteté dont tout homme devait faire preuve dans les rapports sociaux. Jusqu'à nos jours, la " bonne " conduite sexuelle des femmes a presque toujours été jugée essentielle dans le jugement global que l'on porte sur elles. La prière que Voltaire prête à Ninon gardait son caractère provocateur au début de notre siècle. Colette et Simone de Beauvoir auraient encore pu l'adopter.